vendredi 24 mars 2017

Le Garçon de Marcus Malte


    " Le jour n'est pas encore levé et ce qu'on aperçoit tout d'abord au loin sur la lande est une étrange silhouette à deux têtes et huit membres dont la moitié semble inerte. Plus dense que la nuit elle-même, et comme évoluant en transparence derrière ce voile d'obscurité. La paupière fronce à cette apparition. Doit-on s'y fier?  On se demande. On doute... On s'interroge. On la suit du regard. On la voit qui avance, courbée, l'échine déformée par une énorme protubérance, l'allure lente et quasi mécanique dans sa régularité. On devine, on sent qu'il y a dans cette démarche quelque chose qui tient à la fois du désespoir et de l'obstination..."

    Quelque part dans le sud de la France, Le Garçon s'est mis en marche portant sur son dos sa mère agonisante, désireuse de revoir la Mer une dernière fois. Elle rendra son dernier soupir juste avant que le fils ne la dépose sur le rivage. Son fardeau sur le dos, il reprend la route pour la ramener à leur cabane, le seul endroit qu'il connaît au milieu de cette contrée aride. Et là dans ce désert pierreux, il élève un bûcher : "C'était ce qu'elle lui avait dit qu'il faudrait faire.", la couche délicatement sur le lit de branchages, allume le feu et pose la main sur son front pour un dernier adieu.
    Au soir du sixième jour, hanté par la vision du colporteur qu'il avait surpris dans un autre temps rôdant autour de leur cabane, il émerge de sa prostration, et décide de partir parce que, pour lui, c'est devenu une évidence, une nécessité : il veut aller à la rencontre des hommes et du monde lui l'enfant sauvage de 14 ans qui n'a jamais eu de nom, qui est muet, qui n'a connu que sa mère. Qu'importe le chemin, il a tout à découvrir et à apprendre !

    1908, il commence son périple, le lecteur l'accompagne pendant les trois décennies qui lui restent à vivre. La rencontre avec les hommes : les habitants d'un village perdu, Brabek l'ogre des Carpates et sa roulotte pour aller de foire en foire, Emma qui lui fera découvrir l'amour et les joies d'une vie familiale que la Guerre et son horrible carnage viendront trop tôt anéantir. En perdant les êtres qu'il aime, il apprendra vite que la civilisation n'est pas toujours synonyme de bonheur et qu'elle peut ravager une existence. Après avoir subi le bagne, il reprendra sa vie d'errance au-delà des mers pour achever ses pérégrinations au pied de la grande Cordilère des Andes dans un dénuement et une solitude similaires à ceux de son enfance. La boucle refermée il pourra entreprendre sa dernière escalade!

    " Il monte.
    Aussi longtemps et aussi haut qu'il peut, il monte.
    Puis il s'arrête.
    Maintenant c'est la montagne brute. Partout, autour. La pierre rugueuse est nue. Le squelette. maintenant ils s'en sont tous allés. Tous ces êtres, et toutes ces choses invisibles et immatérielles qui ont un nom quand lui n'en a pas.
    Vois : il n'y a plus rien.
    Le Garçon s'assoit sur un rocher plat qui fait saillie. Un instant encore il croit sentir l'odeur de la mère. Ses effluves de salpêtre et de cendre. Puis cela s'évapore comme le reste. Il s'allonge sur son promontoire, face au ciel. Il est seul.
    Il passe les trois derniers jours de sa vie à regarder tournoyer les condors."   

    Admirable écriture qui sait se faire tendre, délicate et sensuelle quand elle évoque l'éveil à la  sexualité de ces deux adolescents vierges de toute pollution humaine, qui sait devenir âpre et dure quand elle décrit sans concession aucune les horreurs et les affres de la guerre des tranchées. Mêlant la grande et la petite histoire, on lui pardonne d'abuser parfois de listes destinées, je suppose, à rendre le propos pourtant toujours bien documenté, plus crédible.
   A la fois, l'histoire d'une initiation et d'une grande aventure humaine !

    Editions Zulma 2016 (535 pages- 23,50 € )