mercredi 26 août 2015

Les inoubliables de Jean-Marc Parisis


    A la recherche de documents sur la rafle du Vel' d'Hiv' de juillet 1942, une photo et sa légende sautent aux yeux de l'auteur : "Esther Schenkel a été arrêtée à la Bachellerie en Dordogne avec ses cinq enfants et a été déportée avec eux le 13 avril 1944 par le convoi n° 71 après l'exécution du père, Nathan (...). Coïncidence inattendue mais suffisante pour déclencher chez lui le désir impérieux d'enquêter et d'apprendre ce qu'il s'était passé pendant la guerre à La Bachellerie, berceau de sa famille où il revenait régulièrement séjourner chez ses grands-parents pendant les vacances scolaires.
    Sur le cliché cinq enfants, une fille et quatre garçons nés en Alsace, expédiés comme beaucoup d'autres dans ce coin perdu de Dordogne. Des réfugiés qui ont fait prendre conscience aux habitants qu'un autre monde existait au-delà des collines et que la guerre les avaient rattrapés. La guerre, apprendre à vivre avec ses exactions, ses miliciens, ses maquisards, la découverte de l'antisémitisme, la traque des juifs et leurs arrestation.
   Se documenter, entreprendre des recherches, interroger le silence des anciens (jamais son grand-père ne lui avait parlé de cet épisode), autant de raisons de retourner sur les lieux de son enfance et de retrouver, peut-être, des témoins ?
    Benjamin Schupack, rescapé de 80 ans acceptera de raconter lui qui à 14 ans a perdu tous les membres de sa famille gazés à Auschwitz et d'évoquer les nombreux autres disparus grâce au précieux journal que son père Jacques avait tenu pendant les événements.
    "Un saut dans le temps, puisque ces cinq enfants étaient morts, assassinés, dix-huit ans avant ma naissance. Le temps sépare moins que la vie."
    Toujours délicat de faire retour sur le passé, de se confronter à la fiabilité des souvenirs. Grâce à une enquête minutieuse Jean-Marc Parisis relate une tranche d'histoire d'une crédibilité indiscutable. Récit qui m'a d'autant plus touchée que les lieux évoqués ne me sont pas totalement étrangers, que la guerre est inscrite à jamais dans ma mémoire, m'a étonnée d'avoir pu ignorer que la Dordogne fût, elle aussi, le théâtre du massacre et de la déportation de réfugiés juifs.
    D'une écriture évocatrice il fait la part belle aux lieux et aux hommes. La beauté et le réalisme de ses descriptions effacent les ans passés et le lecteur devenant témoin se porte ainsi garant du souvenir de tous ceux qui sont partis et qui doivent rester 'Inoubliables".

    
    Editions Flammarion 2014 (225 pages-18€)

jeudi 13 août 2015

La lumière des étoiles mortes de John Banville


    Irlandais né en 1945, l'auteur décide à 17 ans de quitter son village natal et d'arrêter ses études. Il travaille dans une compagnie aérienne, voyage beaucoup puis décide de se consacrer à l'écriture. En 1970, il publie un premier recueil de nouvelles, de nombreux ouvrages suivront (Athéna, Impostures, Eclipse etc...). En 2005, "La mer" couronné par le Booker Prize le propulse au rangs des grands écrivains de langue anglaise. Il vit désormais à Dublin où il travaille sa prose huit heures par jour. Romancier et scénariste il écrit aussi des romans noirs sous le pseudonyme de Benjamin Black.

    Alexander Cleave, la soixantaine bien entamée, partage avec sa femme Lydia l'immense chagrin de la perte de leur fille qui s'était suicidée à 27 ans en Ligurie. Acteur de théâtre confirmé il a fini par accepter d'interpréter au cinéma le rôle d'Axel Vander homme de lettres qui lui semble être "un oiseau extrêmement étrange". Face à la nouvelle orientation de sa carrière, il se remet en question, se souvient de son passé d'acteur et...d'adolescent, quand il avait 15 ans et que Billy Gray était son meilleur ami.
    "Billy Gray était mon meilleur ami et je suis tombé amoureux de sa mère. Amoureux est peut-être trop fort, mais je ne vois pas de terme plus faible qui convienne. Tout ça s"est passé il y a un demi-siècle. J'avais quinze ans et Mme Gray trente-cinq. Ce sont des choses qui se racontent volontiers, puisque les mots n'ont aucun complexe et ne sont jamais surpris..."
    "La lumière des étoiles mortes" est un récit à la première personne. Alexander nous conte l'histoire de sa liaison qui a vécu l'espace d'un été dans l'enchantement de la découverte, la crainte d'être surpris et le sentiment exacerbé de vivre des moments d'autant plus fous qu'ils sont totalement interdits.
    Ces épisodes primesautiers sont régulièrement interrompus par des retours à la réalité quand Alexander est rattrapé par la vie, ses aléas, ses problèmes et son chagrin. Et ce n'est pas l'équipe et le tournage du film qui lui apporteront l'apaisement qu'il attend.





    Ce récit est essentiellement une réflexion sur la mémoire, sa fiabilité et ce que nous en faisons. Notre passé : "quelque chose dont nous croyons nous rappeler mais que, en réalité nous fabriquons." L'auteur est d'autant plus crédible qu'il prend son temps, approfondit, analyse avec une telle minutie que certains pourraient la prétendre exagérée. Il cerne les personnages au plus près, détaille, précise ce qui donne à son écriture une densité qui ne tient qu'à lui. La poésie n'est pas exclue et l'humour toujours au rendez-vous : ces portraits sont d'une réalité percutante, incisifs et drôles.
     Une réflexion sur l'homme qui n'en finit pas de grandir !

   "...En quel royaume dois-je croire, lequel dois-je choisir ? Aucun, puisque tous mes morts sont tous vivants dans mon coeur, moi pour qui le passé est un présent lumineux et éternel ; vivants pour moi et néanmoins disparus, sinon dans le fragile au-delà de ces mots."

    Editions Robert Laffont 2014 Traduit de l'anglais (Irlande) Par Michèle Albaret-Maatsch
346 pages-21,50€ Prix Prince des Asturies 2014
Titre original Ancient light 2012.

samedi 1 août 2015

Nous sommes tous morts de Salomon de Izarra

    " Ils  sont tous morts... Les cadavres de ceux que nous n'avons pas réussi à manger pourrissent patiemment dans la cale, entassés les uns sur les autres. Je l'ai d'ailleurs fermée à double tour, on ne sait jamais. Je crois que je suis perdu. Oui, je suis perdu."

    Un baleinier norvégien, La Providence, le bien-nommé pour ses marins (?), part en campagne de pêche. Deux jours après avoir quitté le port, le bateau essuie une tempête effrayante, du jamais vu disent les marins qui peinent à faire front pour maintenir le bateau à flots. Contents de s'en être à peu près bien sortis, ils vont très vite déchanter et réaliser qu'ils se retrouvent sur un bateau prisonnier des glaces. Erreur de navigation, dérèglement climatique, aucune explication plausible pour un phénomène incontrôlable : une glace qui progresse inexorablement pour peu à peu tout envahir et paralyser les hommes. Ils réalisent qu'ils sont pris au piège. Le capitaine s'enferme dans sa cabine, perd la raison et c'est Nathaniel Nordnight, le second, qui prend le commandement. "Nous sommes tous morts", si le titre ne laisse aucune illusion au lecteur, il incite Nathaniel à tenir un journal de bord qui sera miraculeusement retrouvé.
    Les avis sont partagés et certains n'hésitent pas à comparer l'auteur à Melville, Lovecraft, Stevenson ..., je ne me permettrai pas d'en juger, ce sont des écrivains que je ne fréquente pas (peut-être à tort). Personnellement j'ai fait le rapprochement avec "La route" de Cormack McCarthy : certes, la situation est différente, les personnages évoluent sur une terre dévastée, couvertes de cendres. La glace, les cendres, deux mondes où l'homme n'a plus sa place, où l'instinct de survie prime sur son jugement égaré où la folie le régresse vers une anthropophagie programmée.

    "Ils gardaient tous les yeux baissés, honteux de m'entendre exprimer leurs inavouables désirs. La faim leur faisait aussi perdre la raison et ils réalisaient que l'attachement à la vie brisait les tabous les plus sacrés."

    Mais encore faut-il avoir l'art et la manière pour aborder un tel concept. Je crois que la délicatesse n'est pas une notion essentielle chez l'auteur. A vouloir trop en faire, il a perdu de sa crédibilité et ses personnages me paraissent manquer de consistance. Certaines précisions culinaires sont à mon avis superflues et même déplacées. (J'ai craint un moment me retrouver sur "Marmiton.com"). Déplacée aussi la dédramatisation de ce cannibalisme "ordinaire" qui semble vouloir afficher une tentative d'effacement des tabous ancestraux. Du fantastique qui manque d'intérêt, de profondeur et totalement dénué d'émotion. Dommage, le style n'est pas sans talent.
    Un premier roman qui laisse à l'auteur la possibilité de nous séduire avec une prochaine publication.

    Editions Payot & Rivages 2014 (132 pages-15€)