lundi 17 novembre 2014

Berceau d'Eric Laurrent


    Histoire d'une adoption précise l'éditeur !
Bien sûr, il sera question de tracasseries administratives, d'un orphelinat où les nourrissons attendent dans leurs berceaux d'hypothétiques parents. Mais qui connaît l'auteur et ses précédentes parutions ( en particulier Les Découvertes en 2011 où il revient sur son enfance et sa jeunesse), sa propension à élever le débat, sait qu'il ne sera pas uniquement question de couches et de biberons ... mais avant tout d'une rencontre et du cheminement d'un homme vers la paternité.

    Un petit garçon naît le 1er avril 2012 à la maternité de Rabat. Abandonné par sa mère célibataire, il est transféré à l'orphelinat où on le prénomme Ziad. Le 27 avril, la responsable de l'institution dépose l'enfant dans les bras d'Eric Laurrent et de Yassaman sa compagne. Tout semble aller très vite. Mais c'est sans compter avec la"réislamisation" du Maroc qui s'oppose à toute démarche d'adoption non-marocaine et refuse la sortie du territoire aux enfants adoptés par des étrangers.
     Pendant 18 mois ils devront se contenter de visites à l'orphelinat où ils restent enfermés de 9 à 18 heures pour s'occuper du bébé, l'apprivoiser et s'initier à leur rôle de parents. Grâce à l'intervention d'une princesse chérifienne ils obtiendront enfin le droit de sortir l'enfant de l'institution mais devront séjourner au Maroc en attendant que leur soit donnée l'autorisation de le ramener en France.

    " Longtemps, je n'ai pas voulu être père ! "
L'auteur pense ainsi préserver sa liberté, éviter les rapports père-fils le plus souvent conflictuels et ne pas prendre le risque de donner la vie à un être qui n'a rien demandé. Toutes ces interrogations fondront comme neige au soleil quand le petit bonhomme qu'il tient dans ses bras consentira à lui sourire.
    " Je fonds aussitôt en larmes : en un instant, il est devenu mon fils. "
    Commence alors pour l'auteur et sa compagne le long apprentissage du "métier" de parents, ses embûches mais surtout ses émerveillements devant les progrès journaliers du nourrisson que le père attentif  retranscrit au fil des jours écrivant ainsi ce qui restera pour Ziad dans les années à venir le témoignage inestimable de ses premiers instants de vie.
    Et pour appuyer son propos, l'auteur convoque Montaigne, Pascal, fait référence à la Bible et retrouve dans certaines scènes quotidiennes des réminiscences de tableaux de la Renaissance.
    Comme toujours, son écriture est de grande tenue, d'une rare élégance, ici, empreinte d'une immense tendresse, déclaration d'amour et de bienvenue à l'enfant au sein de cette famille cosmopolite.
    Un père d'origine italienne et une mère iranienne marchent en tenant par la main leur enfant marocain ! Image symbolique et rassurante qui laisse à penser que c'est encore possible en ces temps d'intolérance que nous vivons.

    Les Editions de Minuit 2014 (94 pages-11,50€)

  


lundi 3 novembre 2014

Meursault, contre-enquête de Kamel Daoud




   1942, Albert Camus publiait "L'étranger", son premier roman qui débutait par cette phrase devenue célèbre "Aujourd'hui, maman est morte."
    2014, Kamel Daoud  publie "Meursault, contre-enquête" son premier roman qui débute par :"Aujourd'hui, M'ma est encore vivante."
   Loin d'être fortuite, cette similitude risque fort d'intriguer les lecteurs sur les deux rives de la Méditerranée. Que cherche Daoud après tant d'années ? Régler un contentieux avec l'auteur de L'étranger ? Hautement improbable : de son propre aveu il admire trop Camus ! Ou alors, tout simplement, réparer une omission en donnant enfin une identité à "l'arabe" assassiné !

     "... c'est une histoire qui remonte à plus d'un demi-siècle. Elle a eu lieu et on en a beaucoup parlé. Les gens en parlent encore, mais n'évoquent qu'un seul mort - sans honte vois-tu, alors qu'il y en a deux, de morts. Oui, deux. La raison de cette omission ? Le premier savait raconter, au point qu'il a réussi à faire oublier son crime, alors que le second était un pauvre illettré que Dieu a créé uniquement, semble-t-il, pour qu'il reçoive une balle et retourne à la poussière, un anonyme qui n'a même pas eu le temps d'avoir un prénom."

    Daoud lui donne non seulement un prénom, Moussa, mais aussi une mère, un frère et un père absent. M'ma devenue silencieuse passera les années à chercher le cadavre de son fils et Haroun à essayer d'être le substitut du frère disparu.
    Dans un bar où il s'alcoolise, Haroun devenu vieux raconte à l'auteur la vie d'une famille dévastée par l'assassinat de Moussa et l'injustice du jugement qui condamne Meursault, non pas pour avoir tué "l'arabe" mais pour ne pas avoir pleuré à l'enterrement de sa mère !
    Arrivera la période de l'indépendance de l'Algérie avec ses bouleversements et ses exactions, ses revirements de situations et la boucle se refermera quand Haroun sera contraint de tuer "un blanc", assassinat qui ne sera jamais découvert et restera donc impuni.

    C'est un livre qui demande attention et persévérance, exige des retours en arrière pour en saisir tout le sel, pour savourer les analogies et les parallèles avec L'étranger que j'avais eu la bonne idée de relire avant d'aborder Meursault, contre-enquête.


    Chroniqueur depuis 17 ans au Quotidien d'Oran, Kamel Daoud écrit, dans un pays de langue arabe, en Français. Français qu'il avait appris seul dès l'âge de neuf ans.

    Editions Actes Sud 2014 (153 pages - 19€)